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Complètement Miró !

11 octobre 2018
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Bleu-II-Joan-Miró

Joan Miró, © Sarah Meneghello : Bleu I et II, 4 mars 1961, huile sur toile, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne don de la Menil Foundation en mémoire de Jean de Menil, 1984, © Successió Miró / Adagp, Paris 2018 et Oiseau lunaire, Bronze, 1966, Suisse Fondeur, Arcueil, Paris, tirage 1/1, Collection particulière / Adagp, Paris 2018

Entre terre et ciel, on est comme en apesanteur dans la magnifique rétrospective que consacre le Grand Palais à Joan Miró. On en a plein les mirettes !

« Ceci est la couleur de mes rêves » fait office de programme. Au-dessous de cette légende manuscrite, qui a valeur de manifeste, une « tâche » bleue. Bleu azur. Cet espace quasi vierge représente ce qui reste souvent de nos nuits : l’indicible. Miró, lui, en avait des choses à exprimer sur le sujet. Les songes sont bien la clé de toute son œuvre. L’immense peintre espagnol nous invite à regarder derrière, au loin et au-delà.

Peinture-poeme-Joan Miro

Joan Miró, Peinture-poème (« Photo : ceci est la couleur de mes rêves »), 1925, huile et inscription à̀ la main sur toile, 97 x 130 cm, États-Unis, New York, The MET, The Pierre and Maria-Gaetana Matisse Collection, 2002 © Successió Miró / Adagp, Paris 2018, Photo The MET, dist. Rmn- Grand Palais / image of the MMA

Dans les salles du Grand Palais, le bleu et le noir sont à l’honneur. Mais le monde de Miró, peuplé de créatures insolites, revêt surtout les atours de fantasmes bariolés. Le peintre n’a-t-il pas su leur donner une palette riche de tonalités primaires ?

L-Oiseau-migrateur-Joan-Miró

Joan Miró, L’Oiseau migrateur, 26 mai 1941, gouache et huile sur papier, 46 x 38 cm, collection particulière © Successió Miró / Adagp, Paris 2018, Image courtesy Acquavella Galleries

Jean-Louis Prat, ami de l’artiste, ancien directeur de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence et commissaire d’exposition, a conçu, avec Maciej Fiszer, un parcours poétique, un véritable écrin où les couleurs du maître catalan éclatent, où ses rêves prennent merveilleusement forme. Et peu importe les supports ! Outre des toiles et des livres illustrés, on trouve des céramiques, des bronzes, des vases, des plats, du mobilier et même une huile sur peau de vache.

Près de 150 œuvres essentielles sont réunies afin de donner à Miró toute la place qui lui revient dans la modernité. La scénographie est remarquable car elle compose avec des géométries variées, crée d’intéressants points de vue, des mises en perspectives liées étroitement aux thématiques.

Les-oiseaux-de-proie-foncent-sur-nos-ombres-Joan-Miro © Sarah Meneghello

Joan Miró, Les oiseaux de proie foncent sur nos ombres, 1970, huile sur peau (vache), 250 x 200 cm, collection particulière

Miró traverse son siècle (1893-1983) en essayant moult techniques. Il se renouvelle sans cesse. Ni abstrait, ni figuratif, son style est riche de multiples inventions et l’on retrouve cette même liberté tout au long de sa carrière. La liberté d’un réfractaire aux étiquettes. La liberté qu’on s’autorise aussi au plus profond de la nuit.

Rêves éveillés

« Je ne rêve jamais. Je dors comme une taupe. Mais quand je me réveille, je rêve toujours », explique Miró dans un entretien. Entre rêve et réalité, l’artiste attend la gestation de ses œuvres, laisse filer la raison jusqu’au déclic créatif. La banalité du quotidien le stimule ; les tâches l’excitent : « Il me faut un point de départ, explique-t-il, ne serait-ce qu’un grain de poussière ou un éclat de lumière. Ainsi un bout de fil peut-il me déclencher un monde ».

Outre les rêves, les hallucinations ont nourri son travail. Dans les périodes de famine, trop orgueilleux pour demander à ses amis de l’aider, il se contentait de repas constitués de figues sèches. Formidables sources de visions !

Dans ses compositions, entre figures et symboles étranges, des insectes ou des oiseaux se métamorphosent, des étoiles tombent des cieux, des yeux nous fixent, des lunes flottent dans l’immensité bleutée. La salle intitulée « Paysages imaginaires » propose, côte à côte, trois tableaux d’une force extraordinaire. Tout ce qui inspire Miró jusqu’à sa mort apparaît : les animaux, le ciel, les astres. Quelle magnifique plongée dans sa créativité !

Oiseaux-et-insectes-Joan Miró

Joan Miró, Peinture (Oiseaux et insectes), 1938 huile sur toile, 114 x 88 cm Autriche, Vienne The Albertina Museum. The Batliner Collection © Successió Miró / Adagp, Paris 2018, Photo The Albertina Museum, Vienne – The Batliner Collection

Irrigué par la richesse de son activité onirique, son univers est habité par des créatures fantastiques. Et même les femmes, inusable source d’inspiration, revêtent des formes fabuleuses. La Caresse d’un oiseau, Chant aboyant au cerf-volant, le Soleil rouge ronge l’araignée : ses titres sont autant d’invitations aux songes.

Liberté du geste

L’exposition se concentre sur les périodes charnières de l’artiste. Le jeune Miró se cherche et aborde toutes les influences, digère le cubisme, est dans une quête permanente. À un moment, il se définit comme un « fauve catalan », mais il reste toujours en marge des courants artistiques, y compris le surréalisme. Il fréquente Artaud, Breton, Eluard, Picasso… Et il reste indépendant. Toujours. Original, aussi.

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Joan Miró, La Ferme, 1921-1922, États-Unis, Washington National Gallery of Art, don de Mary Hemingway, 1987 © Successió Miró / Adagp, Paris 2018, Photo National Gallery of Art, Washington

Ses débuts montrent la Catalogne rurale de l’époque, avec une profusion de détails et une forte stylisation. Dans La Ferme (1921), un cadre rouge intrigue, comme si Miró avait voulu capter notre attention sur l’intérieur de la remise, pour y traquer des choses qui nous échappent. Comme dans notre inconscient ? Déjà ?

Paris lui ouvre de nouvelles perspectives. Au début des années 1920, Miró partage son temps entre la Catalogne et la rue Blomet, où il côtoie les surréalistes et participe à leur première exposition. Mais il préfère inventer son propre langage.

Entre les Constellations peintes de 1939-1941, qui regorgent de signes ou de figures, et les toiles de sa fin de vie, monumentales et dépouillées : tout un monde ! Sublimes, ses Bleu (1961) sont des modèles du genre : « J’ai mis beaucoup de temps à les faire. Pas à les peindre mais à les méditer », déclare-t-il. On les considère comme la synthèse de toutes ses expériences. C’est en fait « l’aboutissement  de tout ce que j’avais essayé de faire », confie-t-il un jour.

Bleu II-Joan-Miró

Joan Miró, Bleu II, 4 mars 1961, huile sur toile, 270 x 355 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, don de la Menil Foundation en mémoire de Jean de Menil, 1984 © Successió Miró / Adagp, Paris 2018, Photo Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. Rmn – Grand Palais / Philippe Migeat

Dès les années 1950, il découvre la puissance primitive de la céramique et apprend à maîtriser le feu. La décennie suivante, il conçoit un groupe de sculptures monumentales (matériaux divers) dont les formes et les volumes vont s’intégrer à l’architecture et à l’environnement naturel de la Fondation Maeght.

Réenchanter le monde

Jusqu’à la fin de sa vie, Miró peint avec ses doigts, avec ses pieds (les vidéos de son travail en atelier le montre en train de travailler debout, perché, couché…). Il s’engage aussi bien physiquement que politiquement. Inquiet de la montée du fascisme, il a réalisé en 1934 une série de pastels : couleurs électriques, personnages monstrueux… C’est saisissant !

Son engagement anti franquiste ne se démentira pas non plus. En 1974, il réalise trois grandes toiles en hommage à un anarchiste, dernier prisonnier politique sacrifié par le régime (l’Espoir du condamné à mort). L’exposition se ferme d’ailleurs sur cette déclaration : « Les gens comprendront de mieux en mieux que j’ouvrais des portes sur un autre avenir, contre toutes les idées fausses, tous les fanatismes ».

Si sa création reste toujours en éveil et que sa fraîcheur reste intacte, le vide s’empare ensuite d’une grande partie de ses dernières toiles. C’est Toile brûlée, en partie lacérée et trouée par le feu, qui clôt l’exposition. Dans cette œuvre ultime, où le noir surgit avec une force nouvelle, le tragique frôle l’espoir, cette fois-ci, d’une façon inquiétante. Mais dans cette atmosphère ouatinée, avec ces lumières tamisées, on resterait bien là toute la nuit, en si bonne compagnie, pour y croiser, peut-être son fantôme.

Sarah Meneghello

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